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  • : Le pays de Souram
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  • Lecture (fiction, non-fiction) voyages (y compris mini-voyages du week-end en Suisse) histoire, litt. récente ou non, mots rares & précieux, origines des mots/expressions/noms de lieux
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16 octobre 2014 4 16 /10 /octobre /2014 19:31

Le roman se déroule en 1938 dans le milieu colonial britannique. Le même que l'environnement de Burmese Days de George Orwell. Henry Winton, planteur de thé, chasse avec fermeté une jeune femme qui avait volé des feuilles de thé; voilà comment tout démarre.
Je note le mot چارپائی, charpoy, lit tissé d'Inde, littéralement "objet qui possède 4 pieds" en ourdou et pathan/pashtoune. On trouve ce terme au début du roman, quelqu'un qui vend des charpoys. Je pense qu'on dit "tchar poï", ça sonne assez persan, ce mot, en fin de compte. p.21: Ils nous apporteront un couple de charpoys. On voit que c'est traduit: a couple of, donc deux, passé tel quel en français pimente le récit, involontairement (?) d'un petit air de love story, puisqu'on susurre quelque chose au sujet d'un "couple" de lits. A la 1ère lecture du mot charpoy, je me demandais s'il s'agissait d'oiseaux "inséparables" exotiques; je ne suis pas habitué aux mots anglo-indiens, malgré mon pseudo souram qui peut évoquer l'Inde. Comme quoi l'habit ne fait pas le moine.

Des lieux réels dans ce livre ? Je ne trouve pas Tinapur ("tina pour") parmi les endroits réels; est-ce Dimapur (à présent dans le Nagaland depuis le fractionnement de l'Assam "élargi" en plusieurs entités) ? Quant à Silent Hill, mystère total... L'écrivain indien de langue anglaise ne se souciait peut-être pas de citer des lieux réels, son public occidental n'ayant aucune idée de la toponymie assamaise. Et Manohar Malgonkar n'était pas Assamais. Lamlung semble également être un nom de lieu imaginaire, je ne trouve aucun endroit associé à l'Assam et portant ce nom; Lam Lung sonne plutôt extrême-oriental.
Malgonkar a vraisemblablement choisi l'Assam pour décor en raison de la présence de plantations de thé gérées par les Britanniques, le roman s'articulant autour de la question raciale, des rapports tendus entre Blancs et Indiens, de la volonté des Blancs de maintenir leur empire: "L'empire est vaste", déclare l'un d'eux à Henry Winton avant de lui dire de ne pas chercher querelle aux Indiens, afin, précisément, que l'empire dure... (le tout en 1938, neuf ans avant le 15 août 1947). Autre thème: l'érotisme, les congaïs assamaises (maîtresses).

Un tiffin est un snack ou un repas léger, dans l'argot - slang - de l'Inde coloniale. En Inde et au Népal de nos jours, ce mot désigne un en-cas ou un repas léger en général sans connotation de slang.
Un shikari est un guide, toujours un Indien, un assistant loué ou employé par un chasseur, en l'occurrence lors de la chasse à l'éléphant rogue, Henry Winton est escorté d'un shikari.
L'izzat est un concept que l'on peut traduire par "honneur". Un mot ourdou.

Henry Winton, lors de la "Semaine de Chinnar" (événement qui réunit tout ce qui compte dans la société blanche de l'Assam colonial, où se décident mutations, nominations ou limogeages) est abordé à propos d'une affaire plutôt originale: la nécessité d'abattre un éléphant solitaire dangereux, un "rogue".. Winton accepte de relever ce défi. Lequel survient dans un contexte délicat pour Winton, puisque la jeune femme qu'il a rabrouée est la nièce d'un Assamais très engagé dans la lutte pour l'indépendance de l'Inde. Winton se trouve donc dans la ligne de mire des autorités britanniques qui aimeraient éviter que Winton fasse ainsi des vagues en entrant en conflit avec des "autochtones".
La chasse au "rogue elephant" ébranle le statut d'Henry Winton.

Eh bien, est-ce le souvenir d’Une Histoire birmane (en anglais, Burmese Days) de George Orwell ? Peut-être. Mais une chose est sûre, j’aime beaucoup ce roman «assamais» de Monahar Malgonkar. Il transporte le lecteur dans un nœud de vipères (ou de cobras, puisque nous voilà en Inde, or on trouve des cobras royaux, ophiophagus hannah, dans le parc naturel de Kaziranga en Assam, Kazirônga* en assamais) de jalousies, de vanité, de médaillés et de notables se heurtant à une classe politique indienne émergente et essayant de faire quand même durer l’empire des Indes. On entend presque siffler les ressentiments et leur langue bifide.
L’affaire de l’éléphant rogue (du pachyderme solitaire et agressif) révèle à quel point la nécessité de sauver la face, le poids de l'ezzat/izzat ("honneur", dans la langue des Grands Moghols) peuvent mener à détruire des indices et à inventer une certaine version des événements prête à servir le moment venu. Petits et moyens arrangements avec la vérité doivent ainsi préserver un statu quo en fait déjà moribond, à la veille du second conflit mondial. Convulsions de l’ancien monde droit devant. Cela n’implique pas que le nouveau soit parfait mais quand ce roman démarre, nous sommes en 1938. Gandhi est devenu incontournable. L’Assam au-dessus du volcan, en somme.
*Kaziranga, c’est soit le pays des chèvres rouges, soit la forêt où deux amoureux, Kazi et Ranga, la fille s’appelant Ranga, le jeune homme Kazi venant de la région de Karbi Anglong (de nos jours Karbi Anglong est un district de l’État d’Assam, préfecture Diphu, «blanche eau» en langue locale dimasa) se seraient enfuis au plus profond des bois (de la jungle) parce que leur amour n’était pas agréé par leurs proches; je préfère la seconde étymologie à la première.

Le rythme n'est pas aussi rapide qu'au 21e siècle, ce qui n'ôte rien à l'intensité dramatique de ce roman où un éléphant* peut faire basculer beaucoup de choses...
Tandis que la Seconde Guerre Mondiale est commencée, une autre "guerre", privée, bien plus restreinte dans son théâtre d'opérations celle-là, s'amorce en Assam à la fin de la période britannique. Derrière les parties de chasse, le thé au salon et les réunions d'augustes sujets de Sa Majesté fermentent ressentiments, haines et sombres complots sur fond d'indépendantisme indien grandissant.
Que l'Assam soit réaliste ou réinventé par Manohar Malgonkar n'a aucune importance, l'écrivain indien mène ce drame habilement, raconte comment les mâchoires d'un piège se referment sur une proie humaine. Aucune raison de réagir en schtroumpf grognon.

*à un moment, il est question de la présence de ce fameux éléphant rogue à une seule défense dans une vaste aire de jungle qui s'étend jusqu'à la frontière du royaume du Bhoutan; il pourrait s'agir du district assamais de Barpeta ("bar péta", soit "grand marais") célèbre autrefois pour son artisanat de l'ivoire; Barpeta se situe dans un secteur très irrigué de ruisseaux divers, et le district s'étend vers le nord jusqu'à la frontière bhoutanaise

Julie Christie, actrice de cinéma (Billy le Menteur, Docteur Jivago, Shampoo...) est née en 1940 ou en 1941 à Chabua, চাবুৱা , en Assam, où ses parents britanniques géraient une plantation de thé. Chabua, ville dont le nom signifie "plantation de thé", cha=thé, se situe de nos jours dans le district assamais de Dibrugarh.
Indira Goswami, en littérature, Mamoni Raisom Goswami, est née le 14 novembre 1942 à Guwahati (Assam) et décédée en novembre 2011 à l'âge de 69 ans; c'était une romancière indienne; elle a vécu ses premières années à Shillong, dans le "grand Assam" (undivided Assam) d'avant 1972.

L'Assam est de nos jours l'un des sept États de l'Inde situés dans "l'oreille de l'Inde", en ce saillant nord-est voisin de la Chine, du Bangladesh et de la Birmanie: Arunachal Pradesh, Tripura, Mizoram, Nagaland, Manipur et Meghalaya constituent les six autres. Villes assamaises: Dibrugarh, Dhemaji, Tezpur, Bongaigaon City, Haflong, Sivasagar, Kokrajhar, Cachar, Karimganj, Lakhimpur, Tinsukia (pron. "tin sou kia"), ainsi qu'une localité portant l'étonnant nom de Margherita !) d'après la reine Margherita d'Italie, ville ainsi appelée en raison de l'activité d'un ingénieur italien dans le secteur au 19e siècle sous le Raj, l'administration britannique... Doomdooma, Dum Duma, dans le district de Tinsukia; à l'origine de ce nom très "sonore", aux airs d'onomatopée, on raconte qu'autrefois le secteur était en pleine jungle, fréquenté par des éléphants; le bruit des éléphants piétinant le sol lorsqu'ils chargeaient, dum dum, aurait donné son nom, ensuite, à la localité ! S'ils avaient préféré "immortaliser" les barrissements, la ville aurait eu un tout autre nom, en somme.

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