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  • : Le pays de Souram
  • : Lectures ? Autant de moyens d'évasion! "Quand on a une info, on la sort" (adage journalistique) Cacher ce qu'on sait, c'est se révéler triste. Timeo hominem unius libri (Thomas d'Aquin) l'individu d'un seul livre m'effare. Seul devoir, chercher son bonheur (Kazantzakis)
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  • Lecture (fiction, non-fiction) voyages (y compris mini-voyages du week-end en Suisse) histoire, litt. récente ou non, mots rares & précieux, origines des mots/expressions/noms de lieux
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24 décembre 2013 2 24 /12 /décembre /2013 09:28

Dans un passage, une galerie marchande de Saint-Pétersbourg, dans les années 1860, un couple d'origine allemande expose un crocodile. Ce saurien est le premier crocodile à faire ainsi l'objet d'une exposition à Saint-Pétersbourg. Les passants paient pour l'admirer, ou, éventuellement, essaient de resquiller.

Un petit fonctionnaire, intéressé, s'approche du crocodile. Sa femme l'accompagne. Malheur, voilà l'homme avalé ! Le crocodile engloutit le badaud, mais, comme l'histoire folle du petit canard dans Pierre et le Loup de Serge Prokofiev, l'avale tout vivant. De sorte que la victime parvient encore à parler, du fond du grand estomac reptilien où le facétieux destin l'a soudainement placé.

Dans Le Crocodile, Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski raconte une sorte de fable, un récit ironique afin de se moquer de la cupidité. L'épouse de l'homme avalé se rend compte que tuer le crocodile - dans l'idée d'en extraire l'homme - reviendrait beaucoup trop cher. Les propriétaires allemands du crocodile, qui s'expriment avec des mots allemands mêlés de russe et écorchent les consonnes, refusent absolument de tuer leur poule aux oeufs d'or. Ou alors, ils exigent d'aberrantes compensations: indemnité financière, grade de colonel, une belle demeure, que sais-je encore ? Matériellement, il se révèle insensé, donc, de mettre à mort le crocodile. Quant à demander de l'aide à un fonctionnaire situé plus haut, dans la hiérarchie, que la victime, son supérieur, enfin, un nabab en vue dans la capitale impériale, là, il vaut mieux oublier. L'auguste notable n'a pas l'air de vouloir beaucoup se mouiller. Ne sachant très bien comment se sortir des entrailles de la bête, la victime propose de rédiger des rapports scientifiques, un reportage sur la vie quotidienne à l'intérieur d'un saurien. J'ai bien aimé cette brève fiction mordante.

On peut se pencher sur l'usage russe du crocodile aux 19e et 20e siècles, par ailleurs, histoire d'étendre un peu le sujet: lorsque Mikhaïl Serguéïévitch Gorbatchov ("Gorbie", qualifié de most charming par Margaret Thatcher) est arrivé au pouvoir (en 1985... cela semble remonter à une lointaine époque: nous n'utilisions pas l'Internet et tapions à la machine à écrire, pour celles et ceux qui ont "connu ça") le dissident Aleksandr Zinoviev - l'essayiste exilé des Hauteurs béantes, dissident sans aura particulière en Occident, au contraire d'Andréï Dimitriévitch Sakharov - avait raillé l'idée de "réforme", de perestroïka chère à Gorbatchov (Gorbatchev, en transcription courante en français) en affirmant que la perestroïka ("reconstruction" en russe) équivalait à... apprendre à voler à des crocodiles. En outre, un peu plus tôt dans le vingtième siècle, c'est un journal "satirique" Krokodil qui a entre autres annoncé l'élimination de Radek, Boukharine etc.

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1 avril 2013 1 01 /04 /avril /2013 19:57

Le voyageur imprudent peut bien s’exclamer J’ai Uchaud ! et ne pas avoir l’esprit très Seraing puisque son cœur sera bien plus lourd qu’un bouchon de Liège. Surtout s’il réserve une chambre Semsales de bain dans un hôtel dépourvu de Spa qui ne saurait donc être Le Lieu idéal, même s’il se place sur Le Sentier des vacanciers. Sans doute eût-il mieux valu dormir contre une Bâle de foin, ou au beau milieu d’une prairie Grasse. Wil logement mais écologique. Grandson parfois les projets, plus petites se révèlent les concrétisations. Va... llorbe du monde t’attend, songe le voyageur, du moment que le voyage est dans ses Cordes. Pour peu qu’il sache l’allemand, il va être incité à chanter à Singen, à manger à Essen, à rire en Suisse centrale à Lachen dans le canton de Schwyz. Gy vais, décide le globe-trotter, qui se dit que même s’il ne connaît pas forcément d’à Vence la contrée, il reste une ou deux choses qu’il sait Delle depuis toujours, depuis qu'il Court et guigne à la campagne du côté des animaux de Bassecourt. L’essentiel étant d’avoir Foix en soi, sans forcément avoir une mâchoire de Lyon de Belfort ni un œil d’Aigle. Car celui qui Err finit par perdre La Baule, je veux dire la boule, qu’il surgisse de l’amont ou de Laval, et les aléas Oron raison de sa persévérance. Il errera dans l’une ou l’autre Rue, manquant singulièrement de Crans surtout s’il n’a prévu aucun plan Bex et perd toute sensibilité aux Baux. Comme à la beauté du chant du Gryon, par exemple. Certes, pas de pommes sans Peypin, ni d'ailleurs d'Oranges sans pépins non plus, mais tout de même. Quand le touriste montre moins d’Alen…çon voyage ralentit. Il ne risque alors plus de battre le record du Tours.

(Image: Spa, Belgique, au 17e siècle)

 

 

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Mieux vaut en tout cas - même sur un petit nombre de kilomètres - voyager réellement plutôt que de copier celles et ceux qui, du paysage, n'auraient Jouy que sur la Toile... Y aller vraiment - fût-ce sous le Sceaux du secret - donne davantage de Sens à la découverte, à Nîmes ses loisirs, évitant d'avoir le moral en Berne, par exemple: celui dont le moral est en berne est facilement lessivé par la pluie qui le Reims, Senlis, oups! "s'enlise", disais-je, rapidement dans ses vieux démons et prend non moins aisément un Bouillon au lieu de (sur)nager, hésite à grand renfort de Eu. "Un, deux, Troyes, départ !", alors, c'est le moment de lever Langres, pardon, l'ancre ! En train à Zug, après s'être mis à chanter à Singen, ou en Bagnols-sur-Cèze cents Bormes, les mimosas défilant (illusion d'optique indigne d'Iéna) de part et d'autre de la voiture en marche arr-Hyères.

Parfois, assise sur la banquette, bercée par le roulement, une passagère âgée s'assoupit - elle s'Andorre-la-Vieille, si cette plaisanterie phonétique n'est pas trop Lourdes. Si elle l'est, quel manque de Pau ! Très bien, Trébons, on trouvera autre chose sans être Redon-dant ! Nay pas Raymond Devos qui veut...

 

 

800px-Maggiolo - Portolankarte - 1541

 

 

Le voyageur qui ne sait plus à quel saint se vouer et a le moral au fond du Puy peut puiser dans le calendrier: Saint-Mesmin, Saint-Léonard-de-Noblat, Saint-Martin, Saint-Légier-La Chiésaz, Saint-Gall, Saint-Luc, Saint-Ursanne, Saint-Imier, Saint-Raphaël, Saint-Tropez, Sainte-Maxime, Saint-Gingolph, Saint-Brieuc, Sâo Paulo, Saint-Louis du Missouri, Aghia Marina, Saint-Maurice, Saint-Bertrand-de-Comminges, Sainte-Geneviève-des-Bois, Saint-Étienne, Saint-Rémy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson, Saint-Rémy, Saint-Laurent-du-Maroni, Saint-Vaast-la-Hougue... voire d'autres saints ou Saintes parmi lesquelles les Saintes-Maries-de-la-Mer... Remis au moins en partie de ses émotions, le touriste tourneboulé, menacé d'un syndrome de Stendhal, s'écriera: "J'ai Fahy y laisser ma santé psychique, sinon ma vie !" Et le globe-trotter de s'imaginer qu'il a voyagé trop vite (comme sous la pression d'un compte Sarrebourg, euh, je voulais dire "compte à rebours") sans se donner le Thaon de souffler. "Un rythme plus Laon me conviendrait mieux.. Vite, réagissons avant que la situation se Tende davantage encore !." songe-t-il alors, Trélazé, euh, très lassé de son excitation vécue comme une tuile, "faute de quoi, tôt ou tard, je vais me briser tel un plat en porcelaine de Limoges ou le vase de Soissons !" De quoi mener le touriste ému vers les petites routes, peut-être ? "Moi... ssac au dos, je peux bien marcher un peu", estime-t-il. Surtout si tous les chemins mènent à Rome. Dès lors, si le voyageur est en même temps un pèlerin, il sera ravi d'atteindre Rome, avec une histoire de Metz à la clé.

Il ne faut jamais dire jamais. Never say Nevers again, comme l'a glissé un visiteur venu d'Aberystwyth lassé d'entendre estropier le nom de sa ville: cela aurait été plus facile à prononcer s'il était venu de Cardiff ou de Swansea, hélas pour lui. Pas une raison pour monter sur ses grands chevaux de Saumur en arborant une mine outrée de duc d'Orléans sur qui un valet maladroit venu du diable Vauvert aurait renversé un verre de Banyuls, toutefois... Sans doute est-ce la raison pour laquelle le bonhomme s'est enfui Anduze, euh, en douce, plutôt - ah, ces lapsus, il vaudrait mieux tourner Sète fois sa langue dans sa bouche avant de parler.

Tout touriste furtif Brigue-t-il le poste de globe-trotter, sous prétexte qu'il est allé à Andermatt ou à Appenzell, à Schaffhouse ou à Saint-Germain-de-Calberte ? Sées, je veux dire, "c'est" probable. Même si tout voyage ne ressemble pas au lycée de Saint-Omer, enfin, à l'Odyssée d'Homère (d'où la phrase, "Liliane est au lycée... de Saint-Omer") plus exactement... De fait, le touriste avance ses pions, espérant ne pas être mis échec et Zermatt, et mat, oui, c'est ça, on ne dit pas Zermatt. En tout cas pas en jouant aux échecs. Et Buix, et puis quoi ? Demeure la tenta-Sion d'Alle-er dans Les Bois, éventuellement, en s'inspirant de l'Américain Thoreau. Quoique... Un scrupule résiduel retient le touriste, qui craint d'être pris pour un vagabond, un chemineau à qui une brute lancerait: "Péris, gueux !" en affichant, borné, cet air trop sûr d'être né quelque part brocardé par Georges Brassens. Pareille apostrophe générerait chez le voyageur un visage mélancoLicq-Athérey et marri, attendu qu'on peut être mélancolique, atterré et marri.

Reprends donc ton bâton de pèlerin, vacancier, tel Saül sur le chemin de Damas, ou peu s'en faut. D'autant qu'on peut voyager sans même quitter une grande ville, ne serait-ce qu'à Paris, boulevard Sébastopol, rue de Sèvres, rue d'Aboukir, rue de Téhéran, rue de Lille, gare de Lyon... Même topo(graphie) à Genève: rue de Lausanne, rue de Zurich, rue de Berne, rue de Neuchâtel, rue de Fribourg, rue de Carouge, etc. Est-ce que cela étonnera la touriste de Brive-la-Gaillarde, plus gaillarde que les autres touristes ? Elle a d'abord agi à Auxerre puis elle s'est pointée en septembre, quand on Prades, on brade, veux-je dire, les tours de ville en train touristique. Prendre des vacances d'été en septembre n'a rien d'une Erézée, oh! pardon, d'une "hérésie" bien entendu; il n'y a pas de saison unique pour se mettre Auvers. Météorologiquement parlant, un peu de chaleur parfois Saint-Vith en ville en septembre également. PArlons-en des étés tardifs ! Que Vienne l'automne, mais à son heure, pas prématurément... Le chaos climatique n'est jamais idéal pour les entrées touristiques, Beauvais, euh, mauvais pour le tiroir-caisse. Car il effraie les amateurs de Luxembourgeoisés amateurs de soleil, non de forêts de parapluies qui ne proviennent même pas de Cherbourg mais de Xian ou de Wuhan. Ou peut-être même de Jamshedpur, Ranchi ou Muzaffarnagar, allez savoir ! Heureusement, il a bien passé, le Châteauneuf-du-Pape... Statistiquement, on boit de moins en moins de vin, gros souci, au profit de la Bière, Chimay, Leffe, Munich, Pilsen (Plzen en tchèque), Trieste, non triste pour la purée septembrale mais pas pour le houblon. Même le journal de Sarajevo Oslobodjénié en a parlé (pas en une, quand même), c'est tout dire.

La touriste, la belle, garde l'essentiel de son charme rhétorique pour son prochain coup de foudre. Du moins le public le Croy-t-il à Romainmôtier, où elle a passé. Bien que les autochtones n'aient pas su qu'elle, beauté au teint Yvoire, se prénommait Sarah, avec Hermance en deuxième prénom, sinon ils auraient parlé de "La Sarraz, elle va remplacer Pompaples pour le titre de Milieu-du-Monde !" Le Milieu-du-Monde étant la ligne de partage des eaux entre la Méditerranée et la Manche. À Sisteron comme à Forcalquier, Sarah s'était montrée très Digne, soulignons-le. Elle est 100% Apt à l'être. Elle aime le Cassis, le pin d'Alep pour son parfum et son ombre, le cirque de Moscou à la télévision ainsi que - entre autres - le verre de Venise. Pour autant qu'elle dise vrai, car il ne faudrait pas qu'elle mente, la jolie, il ne manquerait plus que ça !

Lancy-nant besoin de vacances ! Se défaire un moment de ses Chêne. L'un voyage vers les autres plutôt que Versoix; un autre réalisera le contrAire-sur-la Lys. Et ce ne sera pas Jean-Pierre Cassel ! Ni Jacques Chardonne... l'écrivain. Ce qui me rappelle que bien des gens voyagent avec des livres: Paris est une fête d'Ernest Hemingway, Pétersbourg d'André Biély, L'Automne à Pékin de Boris Vian, Hiroshima mon amour de Marguerite Duras, Monsieur Fischer de Genève de Graham Greene, Les Cloches de Bâle d'Aragon, Le Sémaphore d'Alexandrie de Robert Solé, Aden Arabie de Paul NIzan, Notre agent à La Havane de Graham Greene, Le tailleur de Panama de John le Carré, Un jardin à Téhéran de Shusha Guppy, Gens de Dublin de James Joyce; à Prague avec Guillaume Apollinaire, à Lisbonne avec Fernando Pessoa, à Châtillon-sur-Seine avec les Mémoires d'une autre vie de Francis Carco, à Genève et à Maussane-les-Alpilles avec Albert Cohen dans Solal...

Tout ce qui brille, conte Robert, n'est pas d'or, néanmoins. 

 

 

 

 

La France mystérieuse de A à Z

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1 avril 2013 1 01 /04 /avril /2013 12:54

Une lutte féroce s'engage, les laitues passent à l'attaque! La mauve ripostera-t-elle? Les reporters de guerre retiennent leur souffle... Loin des classiques combats singuliers contés dans L'Iliade d'Homère, j'ose ici prendre la liberté de raconter une littérature antique comique. Après, qui ira encore murmurer qu'il n'y en a que pour Platon, Aristote (pas Onassis, l'autre) et les néo-platoniciens parmi lesquels Plotin ? (Non que j'aie tellement lu Plotin, mais maintenant, vous saurez qu'un type appelé Plotin a existé, que c'était un philosophe et que.. où en étais-je?)

Revenons à nos moutons d'Arcadie (un coin du Péloponnèse, en Grèce). On ne parle pas assez de ce qu'on peut lire de marrant dans le secteur de la littérature de l'Antiquité. Histoire de briser le cercle vicieux - "Ils ch... du marbre!" fait dire Milos Forman à Mozart (hi hi hi! le rire de Tom Hulce ne s'effacera pas de sitôt) dans Amadeus à propos des héros mythologiques - passons aux choses pas sérieuses. Que ça devienne un tantinet tarazimboummant, comme chez les trois Ziroboudons d'Hallucinaville1... ("Ziroboudons, des bonbons!")

Il était une fois un Mésopotamien. Un Syrien qui parlait syriaque, rêvait en syriaque, abordait les étrangers en araméen - l'English spoken du IIe siècle après J.-C. au Proche-Orient - et habitait Samsat. Samosate. A présent on dit Samsat et c'est dans la patrie de l'astronome turc qui a repéré l'astéroïde B 612 dans Le Petit Prince. Samosate, sur l'Euphrate (pas vraiment une rime prometteuse toutefois) consistait en une petite ville animée: son marché aux chameaux, son temple d'Astarté, son souk des tanneurs, ses bars, ses kebabs, sa musique typique entre Baby alone in Babylone, les tubes sentimentaux de Sükriyé Tutkun et La Fille de Chalabi, ses gondoliers manoeuvrant non des bateaux effilés mais des embarcations rondes en peau de buffle, son zoo avec des caracals2 appelés également "lynx de Perse" ou "noires oreilles", ses diseurs de bonne aventure, ses prestidigitateurs, ses sycophantes, ses messaliens (mystiques itinérants) et son petit Lucien qui grandit et un jour fit un rêve. "J'ai fait un rêve..." commença Lucien comme s'il se trompait d'époque. En résumé, Lucien avait rêvé qu'une Muse (peu importe laquelle, l'une des neuf) s'était adressée à lui en grec et lui avait demandé d'écrire une oeuvre littéraire si possible de qualité, qu'elle l'inspirerait au besoin mais qu'il ne devait pas essayer d'y couper. Impressionné, Lucien dit de Samosate entreprit d'écrire. A raison. Et en grec. (Image: film de Georges Méliès, Le Voyage dans la Lune, 1902, sorti donc quand Jules Verne était encore vivant, et une bonne vingtaine d'années avant que l'ingénieur Goddard fasse s'envoler la première fusée au monde à combustible liquide)

 

Le_Voyage_dans_la_lune.jpg

 

Dix-neuf siècles plus tard, le lecteur suit les affrontements entre les laitues et d'autres (grosses) légumes. Après quoi il débarque sur une île hantée par une fée, la nymphe Tyrô, dont le nom rappelle le fromage. D'ailleurs, dans un dessin animé de la série Wallace et Gromit, le sol lunaire est décrit comme ayant un goût de fromage. De là à se dire que la fée sent le fromage, il n'y a qu'un pas allègrement franchi. La laitue se rebiffe, sûrement un lien avec la nymphe aux effluves de from'gomme. Il faut reconnaître que le voyage s'annonce rocambolesque. Telle est l'intention de Lucien le Syrien (il eut beau écrire en grec, on persista à le surnommer le Syrien, et sans doute ne voyait-on en lui qu'un immigré, rien de très nouveau sous le soleil en vingt siècles) dans son chef-d'oeuvre du comique délibéré, L'Histoire véritable. Du grand art. La crème de l'épopée burlesque.

Afin de se moquer des récits de voyage à la mode (déjà!) des récits indiens (certains allaient en Inde et en revenaient toqués, au IIe siècle) et orientaux parsemés de merveilles, taupes creusant des galeries et extrayant des pépites d'or, serpents volants des oasis à encens, nids de phénix dans l'Himalaya ou dans le Kerala et éventuellement à Katmandou (plus vraisemblablement à Katmandou) Lucien écrivit cette mirifique Histoire véritable. Le personnage principal explore la Lune, rencontre des Sélénites, des indigènes de la Lune, avant de se rendre dans l'autre monde où il s'approche du vieil Homère. L'interview du millénaire: si vous aviez la possibilité d'interviewer Shakespeare, que lui demanderiez-vous? Le Shakespeare d'alors s'appelait Homère. Le personnage central, celui qui dit "je", demande alors à Homère: "Quand vous avez écrit L'Iliade, pourquoi avez-vous commencé par évoquer la colère d'Achille?" Le rêve de tout journaliste littéraire: tendre le micro à Homère! Bon, Lucien n'avait aucun micro, lui; les SMS se rédigeaient à l'encre sur du parchemin ou du papyrus (économies de batterie). Et Homère là-dedans, pas pris de court pour une drachme, de répondre: "Oh, euh, eh ben, ça m'est venu comme ça, vous savez." Et il ne lui a même pas demandé un autographe! On pouvait, c'est un mot grec.

Bref, Lucien de Samosate a légué à la postérité une oeuvre géniale. Histoire véritable, quelquefois appelée Histoire vraie. 100% fiction mais 100% de talent. Le lecteur de littérature contemporaine aura peut-être remarqué que le Canadien Crad Kilodney, dans Villes bigremenrt exotiques, peut faire penser à Lucien de Samosate lorsqu'il invente des compte-rendus loufoques de voyages improbables dans des villes comme Koundouz (Afghanistan), Mogadiscio (Somalie), Goma (RDC) mais je suis de ceux qui trouvent que Kilodney répète volontiers les mêmes ficelles de style et en vient à se parodier lui-même, d'autant qu'au fil de la lecture de son livre (paru aux éditions Le Dilettante) l'effet de surprise s'évapore. Tant va la cruche à l'eau... Chez Kilodney, en outre, l'alibi de l'humour ne rend pas toutes ses blagues marrantes pour autant. Cela m'a d'abord fait rire de lire une description fictive de la vie à Mogadiscio (Muuqdisho) en Somalie, comme s'il s'agissait d'un spot glamour et tendance, mais à la longue, cet ouvrage du Canadien Kilodney ne court plus le moindre risque de rivaliser avec le génial Lucien de Samosate !

 

 

Il n'y a pas que Lucien de Samosate. Aristo... phane également (qui a cru que j'allais écrire "Aristote"?) L'auteur de théâtre très connu pour L'Assemblée des femmes/Lysistrata souffre un peu du succès écrasant de cette comédie engagée tellement frappante, si riche de résonances politiques. La rançon de la gloire. Pareil avec Janet Leigh dans Psychose: elle a joué dans d'autres films, mais tout le monde la voit comme la femme sous la douche dans le film d'épouvante d'Alfred Hitchcock. "Janet Leigh ? Ah, oui, celle de la scène de la douche dans..." Eh bien, pour le Grec Artistophane, quoique dans le registre comique, c'est un peu la même malédiction. Il n'a pas écrit que Lysistrata, le bougre! De quoi en tomber des nues... Justement!

Tomber des nues (nuages, en français savant) colle bien à une pièce hilarante mais mal connue d'Aristophane3, intitulée Les Nuées/Les Nuages, selon que la traduction remonte à 1880 ou aux années 1990 "nouvelle traduction remaniée par..." l'helléniste survivant/e d'une filière à l'agonie (qui étudie encore le grec ancien? Même moi, j'ai arrêté! Mais une minorité d'amoureux des sciences de l'Antiquité maintient un canal de transmission d'un grec ancien brocardé çà et là comme inutile... Encore que... Je me rappelle un ancien camarade du niveau lycéen qui a déclaré que le grec ancien l'avait aidé dans sa compréhension de maints termes médicaux - il avait fait médecine... qu'on pense au trouble appelé "basophobie", crainte de tomber durant la marche, observé chez certains patients en neurologie4) Dans Les Nuages, c'est le philosophe Socrate qui risquerait d'en tomber, des nues, s'il n'était pas maintenu entre ciel et terre dans un panier suspendu à une poulie. Oui, bravo, comme dans Tintin et le Mystère de la Toison d'Or, la corbeille qui sert à monter au monastère dans les Météores de Thessalie! Haddock et Tintin sont à la recherche du trésor légué par le capitaine Thémistocle Paparanik et les Dupont ne se rendent même pas compte qu'ils ont droit à un concert du groupe folk Dora Stratou... Ils ne savent pas ce qui est bon.

Socrate, Socratounet est dépeint de façon absolument pas correcte politiquement. Pas le martyr des académies de peinture, mais un Sokratidion, Socratounet rompu aux pirouettes verbales, capable de prêcher le faux pour dénicher le vrai, de faire prendre des vessies de porc attiques pour la lanterne de Diogène et l'Olympe pour un assortiment de gouges (il y a une astuce). Bref, Soso donne dans la manie des sophistes, qui s'en tirent toujours par une ligne de fuite discursive, par une formule de "com" parfaite, pour esquiver une demande embarrassante. Drôle d'époque, l'Antiquité! "Tu poses une question à un sophiste, eh ben, quand il a fini de te répondre, tu réalises que tu n'avais pas bien compris la question que tu lui avais posée". "Mettez des sophistes dans le désert égyptien, au bout de deux ans, ils devront importer du sable d'Arabie". Evidemment, c'est inconoclaste de ridiculiser Socrate. C'est peut-être pour cela qu'on joue très, très rarement Les Nuages d'Aristophane.

 

 

Et se voir métamorphoser en âne, voilà le risque pris par Lucius dans Les Métamorphoses ou L'Âne d'Or du Romain Apulée (Apuleius). Sous la houlette d'Isis, Lucius traverse maintes tribulations. Il est même capturé par des brigands en Calabre. Isis lui a imposé maintes épreuves pour le fortifier. Mais il ne le prend pas forcément comme cela. Il a eu de la chance de ne pas être métamorphosé en cafard. Apulée a vécu à peu près en même temps que Lucien de Samosate, mais faute d'Apostrophes et de cafés littéraires en nombre suffisant dans l'empire romain, ils ne se sont sans doute jamais rencontrés. Dommage. Il y a bien eu des cafés littéraires et poétiques au IIe siècle, mais seulement chez des privés, des très riches, et les rencontres n'étaient pas ouvertes à tous les publics. 

 

 


 

1Je me réfère ici aux aventures BD d'Olivier Rameau, douce utopie poétique située dans la très féerique cité enchantée d'Hallucinaville, dirigée par trois magistrats en costume du XVIIIe siècle appelés les Trois Ziroboudons, p.ex. La Merveilleuse Odyssée, La Trompette du Silence, La Caravelle de N'Importe Où...

2Mais pas de tigre. Le tigre d'Alep pour moi est un musicien syrien que j'ai eu l'occasion d'écouter à L'Ange Boiteux à Montreux, il a entre autres chanté La Fille de Chalabi

3C'est à l'Université de Genève que j'ai découvert Lucien de Samosate, et quelques années auparavant j'ai découvert la comédie d'Aristophane à l'école secondaire grâce à des extraits lus par feu J.R., professeure de grec ancien

4On peut déceler du grec antique "caché" dans une marque de siège vélo pour enfant qui signifie "chariot" (le mal des transports s'appelle hamaxophobie) dans une firme d'équipement sportif ("Victoire" en grec, comme "Nice" et Athéna Nikê) dans la couleur typographique cyan (CMJN, cyan magenta jaune noir) dans le prénom de Melanie Grittifh, dans un groupe pop suisse appelé Kat Onoma ("d'après le nom") ou dans le nom de deux États de l'Union Africaine, l'Éthiopie et l'Érythrée, et dans les affaires cyclistes (cycle, encore un mot grec signifiant "cercle", d'où l'assemblée en hémicycle, demi-cercle) de dopage à l'EPO, l'érythropoïétine, littéralement, la substance créatrice de rouge, de globules rouges (Érythrée=pays de la Mer Rouge, littéralement) EPO qu'on pourrait traiter de polémopoïétique, bonne à susciter des polémiques... du grec dans les amphis, "amphi" signifiant double, l'amphithéâtre formant un théâtre double ! Du grec dans Antibes (Antipolis, ville qui fait face) Agde (Bonneville) Marseille la cité phocéenne, La Napoule (nouvelle ville comme Naples, Napoli, Néa Polis, et la Cis-jordanienne Nablous) etc.

 

Lien "Le Jugement de Seth", meurtre au département d'égyptologie, un polar genevois

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21 février 2013 4 21 /02 /février /2013 19:49

Qu’est-ce qui est arrivé à Margo ? Après les aventures des Durrell sur l’île grecque de Corfou, Margaret Isabel Mabel Durrell, puisqu’elle s’appelait officiellement comme cela, née en 1920, a ouvert une pension de famille à Bournemouth, tout près de la maison de Louisa Durrell, sa mère. Louisa (1886-1964) c’est, pour qui connaît Ma Famille et autres animaux, la Mère emblématique et mythique de Lawrence (Larry) Gerald (Gerry) et Margaret (Margo).
Margo, donc, raconte dans Pension de famille, récemment paru en français, ce qui se produit lorsqu’à Bournemouth, une ville de Grande-Bretagne située sur la côte de la Manche, elle prend la décision d’ouvrir une boarding house, de prendre des pensionnaires. Le suspense croît. Qui vont être les premiers résidants ? Eh bien, on voit arriver une mère et son fils turbulent Nelson, un amateur de trompette jazz, une infirmière appelée Jane, et des personnages assez pittoresques, fantasques… Soudain, un homme débarque avec trois singes. Ce ne peut bien entendu être que Gerald (Gerry) Durrell, le Master Gerry de Corfou, parce que sinon, qui d’autre arriverait avec des singes, et un python royal, à Bournemouth à la fin des années 1940 ?
Margo n’a pas moins d’humour que son frère Gerry. Margo est aussi drôle dans Pension de famille que Gerald dans Fillets of Plaice, ce qui n'est pas peu dire. J’ai été ravi de retrouver les mythiques Durrell en tout cas, quelque trente-cinq ans après ma première lecture de Ma Famille et autres animaux (j’en parle dans ce même blog à propos de mon enfance de lecteur). Ce livre drôle, plein de rebondissements, très vivant, il ne faut pas le louper.
Philhéllène, Margo se considérait comme une Grecque. Elle a même voulu retourner à Corfou en 1939, et en 1940, son premier conjoint, Britannique, lui a expliqué qu’il était risqué de rester à Corfou vu la situation internationale.
Margo a vécu de 1920 à 2007.

 

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4 février 2013 1 04 /02 /février /2013 19:35

Les Ziroboudons ? Trois magistrats qui gouvernent Hallucinaville. Les Rêverosiens ? Les habitants, hommes et femmes, du pays de Rêverose. Pazunbrin (forme contractée de l’expression française pas un brin) quant à lui est un épouvantail, quoique bien vivant et doué de la parole, qualité rare chez un épouvantail classique. Majestor, lui, coiffé de sa couronne emblématique de roi des animaux, est bien entendu un lion. Parlant. Du moment que s’exprime un épouvantail, pourquoi un lion n’en ferait-il pas autant ? Et enfin, le duo de choc, le merveilleux couple au cœur de ce petit monde féerique, bizarre, enchanté, aux maisons à l’architecture tarabiscotée, je veux annoncer les époux (ils se sont mariés en cours de série) Olivier Rameau et Colombe Tiredaile. Ai-je oublié quelqu’un ? Oui, c’est exact, je dois encore citer Maître Pertinent, notaire.
Ce qui plaît par-dessus tout aux trois Ziroboudons – bien qu’on puisse imaginer un nom commun, un ziroboudon, des ziroboudons – c’est de manger des gâteaux riches en sucre glace, en crème et en fruits confits. J’ai envie de manger tous les gâteaux, faisait déjà chanter Maurice Ravel à l’enfant dans sa pièce musicale L’Enfant et les Sortilèges.
Je n’ai rien absorbé de bizarre. Ni jusquiame du jardin botanique de Limoges ni lysergique quelconque. Non, nous ne sommes pas en 1951 à Pont-Saint-Esprit ! Je ne parle que des bandes dessinées de Dany et de feu Michel Greg, la série des aventures d’Olivier Rameau. Joli nom d’après le déluge.
Tout démarre lorsque Dany se demande où se perdent de vieux rails désaffectés, en Belgique, dans les Ardennes. Il dessine alors un petit train singulier qui roule sur des rails envahis par les fleurs, les champignons, les folles herbes. Un notaire Pertinent jusqu’à son nom monte à bord avec son clerc, le jeune Olivier Rameau. Le train bringuebale jusqu’à une gare bien insolite. La voie ferrée relie en effet notre monde réel à celui de Rêverose, pays sans maladies ni guerres, contrée de félicité et de bonne humeur, comme vont le découvrir ébahis les deux voyageurs. Deux, et un petit peu plus, même. Dans le wagon où il a pris place aux côtés de son patron le notaire, Olivier Rameau voit monter une charmante jeune femme dont il tombe aussitôt amoureux. Il ne le sait pas encore, mais c’est Colombe Tiredaile. Commence alors la Merveilleuse Odyssée d’Olivier Rameau, 1er album de la série entamée en 1968.

«Ziroboudons, des bonbons !»
Si toutes les manifs vers la place Neuve (Genève) ou de la République à la Nation (Paris) affichaient ce slogan, la politique prendrait une tournure somme toute bizarre.
«Hallucinaville restera joyeuse»
Autre pancarte, même désir de ne pas perdre l’esprit festif, carnavalesque de la part des Hallucinavilliens qui défilent pour protester contre les paralysies répétées de la vie urbaine, dans La Trompette du Silence. En effet, cet album de la série oléoramifiée conte l’histoire d’une lointaine et mystérieuse trompette qui émet de terribles ultrasons. On ne les entend pas, mais leurs vibrations paralysent les mouvements des animaux et des humains. N’importe qui, lion parlant, épouvantail loquace, homme, femme, ou même la cloche parlante dotée d’un visage de cuivre, lorsqu’il est atteint par les ultrasons de la trompette, se retrouve gelé, stoppé en pleine action, figé à la façon d’un arrêt sur image cinématographique. Tant pis si le sujet est assis sur une balançoire, celle-ci s’arrête en plein mouvement, défiant les lois de la physique. La scène se fige alors, au grand ébahissement des personnages frappés de stupeur et de mutisme.
«Mais tu es fou, tu es en train de parler sérieusement !» s’écrient deux des ziroboudons lorsque le troisième de ces capitaines-régents vêtus à la mode du 18e siècle se met, en plein désarroi entre deux attaques de la trompette, à tenir un discours sur la recherche de meneurs, l'instauration d’une commission, comme si on était sur la planète Terre, sur le plancher des vaches du monde réel, appelé Absurdie chez les Rêverosiens. De leur point de vue, les absurdes, c’est nous.
La Trompette du Silence – Dany et Greg maniaient donc les paradoxes – démarre sur une paralysie colorée et psychédélique, presque, au bord d’un étang. Chaude couleurs, moments de tendresse des amoureux qui nagent dans le lac, tout respire la sérénité et l’amour. Sauf que les ultrasons viennent casser cette quiétude. Excédés, autant qu’on peut l’être en Rêverose, les amis habituels, Majestor le lion, sa chère amie la dompteuse caraïbe en uniforme à brandebourgs, la cloche, le notaire Pertinent, Olivier et Colombe, puis l’épouvantail Pazunbrin, le ramoneur également, décident d’en finir, de mener une enquête jusqu’à cette fameuse trompette malfaisante. Il faut pour cela voyager jusqu’à la source du son dévastateur. Mais pour voyager, le groupe aura besoin de l’aide précieuse du mage à la tunique étoilée et au chapeau pointu, le Grand Pas Sage, le sorcier Ebouriffon. Celui-ci, en son château perché à l’architecture loufoque – en italien, on appelle castelli in aria les constructions utopiques – explique l’itinéraire à suivre. Il faudra avancer dans le sens des aiguilles d’un pin ordinaire, entre autres. Dans le château, le groupe est protégé des ultrasons par les fenêtres blindées à l’aide de feuilles de cale-son. Texto. C’est avec une espèce de zeppelin romantique, l’ébouriffonophore, que les amis s’envolent vers les montagnes étranges qui cachent la trompette maudite. Des oiseaux les transportent ensuite, quand le canyon trop étroit empêche l’ébouriffonophore d’avancer encore.
La trompette est une formation rocheuse évidée gardée par un concierge qui est en fait un bonhomme de neige rigolard. Une fois entrés, les amis découvrent que la montagne est percée de nombreux trous, qu’elle abrite des grottes et des rivières souterraines et qu’un concert se prépare. Des rats d’un peu partout se rendent au concert en habit de gala. Et c’est également un rat qui va jouer un solo de trompette… L’intervention brusque des Rêverosiens leur permet d’entrer en contact avec le rat et de lui faire part des effets pervers de son instrument de musique.

Dans La Caravelle de N’Importe Où, Hallucinaville risque soudain de manquer de graines magiques génératrices de joie de vivre. Aussi faut-il aller sur une île dangereuse chercher les précieuses semences. Les amis rêverosiens partent en bateau à voiles – en caravelle – et au cours du périple, un gros pirate essaie de séduire Colombe Tiredaile. Mais elle repousse ses avances.
Et dans Le Grand Voyage en Absurdie, nos amis du monde enchanté se rendent chez les Absurdes, chez nous, sur Terre, pour soustraire un jeune homme, Aimé Detousse, parce qu’Hallucinaville l’a repéré comme étant une recrue idéale pour Rêverose. Aimé Detousse est en effet pacifiste. Mais voilà, il fait son service militaire et prend part à des manœuvres. Cette BD caricature l’armée. On dirait un hommage à Boris Vian. Olivier Rameau parvient à prendre le contrôle d’un tank et à fuir vers le monde utopique avec le citoyen Aimé Detousse. Il y a tellement de moments cocasses, nés de la confrontation entre les Rêverosiens et les Terriens, que cela vaut la peine de lire ce récit dessiné et même de le relire.

La série Olivier Rameau, surtout dans La Trompette du Silence, diffuse une forme de fantasmagorie enchantée où l’architecture urbaine multiplie pignons, clochetons et décorations loufoques, tandis que les cheminées des maisons laissent échapper des fleurs. Une tétine de biberon peut coiffer le toit d'un clocher, par exemple. De quoi se voir transporté dans un monde apaisant, merveilleux.

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16 novembre 2012 5 16 /11 /novembre /2012 20:24

Quand vous dépassez un cycliste, laissez-lui toujours la place pour tomber…

Plus léger que les cycles normaux, il présente l’avantage de ne pas rouler…

Votre voiture est un capital, ne le risquez pas sur la route…

... fit claquer silencieusement ses talons...

On craint qu’il ne survive…


Ces perles de la presse écrite parsèment La Réalité dépasse la fiction, un ouvrage des années cinquante (paru en 1955) préfacé par André Roussin, un opus d'Aycard et Franck. Matériellement, mon exemplaire ressemble à un ersatz de livre, à une tentative rocambolesque pour donner l’impression qu’un livre persiste physiquement. Il a une couverture en papier (d’une conception courante dans les années 1930, 1940 et 1950) et ses pages tiennent à peine ensemble. A 57 ans (en 2012) il menace carrément de s’effondrer. Néanmoins, je ne m’en débarrasse pas, pour une raison somme toute extrêmement simple – ce livre est très drôle. Les illustrations ne répondent bien sûr aucunement – au milieu des années 1950… - aux critères de séduction modernes puisqu’elles sont toutes, sans exception, en noir et blanc et parfois d’une qualité douteuse (contre-jour inopportun, éclat du soleil qui rend un panneau ardu à lire etc.) mais enfin, avec les décennies écoulées, ce livre a pris une dimension que ses auteurs n’auraient en aucun cas pu imaginer, à l’époque. Représentons-nous 1953, 1954, 1955, le contexte de ce temps-là. C’était (j’écris ces lignes en 2012) il y a bientôt soixante ans. La télévision ? Une nouveauté "ultra-moderne" (quel drôle d'adjectif celui-là; insurpassable, littéralement) aux airs de bidule de SF. Internet n’existait pas. La France vivait l'instabilité ministérielle de la IVe République et Vincent Auriol allait bientôt céder sa place à l'Élysée à René Coty. A Genève existait encore l''Ecole du Grütli. Aux Promotions en juin, à la fête des écoles, à Genève, on distribuait encore des prix aux bons élèves (j'ai moi-même été primé en 1976 et en 1978). (A l'image; le dernier bey de Tunis, Lamine Bey, recevant Pierre Mendès-France en 1954; Pierre Mendès-France voit son nom estropié en Mendès-rance, tout à coup, dans l'une des coquilles recensées dans le livre)

 

Lamine_Bey_recevant_Mendes_France.jpg

 

Ce que j’entends là, c’est que le temps écoulé depuis la sortie de presse de ce livre permet, à présent, de le lire (précautionneusement, qu’il ne s’abîme pas trop vite) comme si l’on tenait entre les mains un témoignage sur la société des années cinquante. Un document accidentellement historique en somme. Je ne pense pas que les auteurs aient conçu ce bouquin comme quelque chose susceptible de durer très longtemps, ils voulaient faire rire avec les bourdes des journaux, les cocasseries de la signalisation, les enseignes mal à propos, sur le pouce, sans prétention documentaire. Alors que vu d’ici, du présent, ce livre contient à la fois de l’humour et une «photographie» d’une société qui a changé entre-temps. Ainsi, le lecteur apprendra qu’un effort est prévu pour le tourisme, les corbillards seront motorisés. Auparavant, ils étaient tirés par des chevaux. Et quand, texto, les immondices vous souhait(aient) une bonne année 1952 (merci aux ordures, alors, et bonne année aux poubelles, merci de penser à nous...) le message s’agrémentait de deux employés transportant un seau vers une charrette à cheval. Quelques illustrations montrent des autos Panhard, des autocars dont les courbes ne sont plus de mise, d’anciens panneaux routiers (33 TOURS, indique l’un d’eux à 33 kilomètres de la ville de Tours... c'est déjà de l'archéologie industrielle, mais il a existé des disques 33 tours, 45 tours et même autrefois 78 tours, avant l'ère du CD; ma tante m'a une fois fait écouter un 78 tours par minute) Et des vues de certaines petites villes ne feraient-elles pas songer au film de Jacques Tati Jour de fête, tourné en partie au moins à Sainte-Sévère-sur-Indre ? En ce temps, la France s’étire de Dunkerque à Tamanrasset, et on apprend que près d’Oran, plusieurs hectares de blé ont brûlé: il s’agirait d’un incendie, hasarde le journal, car on n’est jamais trop prudent. Des fois qu’il s’agirait d’autre chose d’encore inexpliqué…

 

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Bien entendu, certaines coquilles ou perles reposaient alors sur des jeux de mots fondés sur des noms de personnes. On publiait systématiquement les noms et prénoms entiers des gens dans les journaux. Ce qui ne se pratique plus. Je ne vais donc pas citer les noms, évidemment. Disons que l’incendie a été aperçu par un habitant de la rue de l’Enfer, sans donner son nom de famille. Donc sans divulguer de véritable nom, c'est un peu comme si un Monsieur Lallemand était professeur d'italien, ou comme si un Lenoir habitait Collonges-la-Rouge, etc. Toute ressemblance avec un Lallemand et un Lenoir réels serait purement fortuite, donc.

Dans ce bouquin, les petites annonces sont particulièrement cocasses. Et pourtant... Et pourtant, elles n'ont rien des petites annonces volontairement loufoques du journal satirique L'Os à Moelle de Pierre Dac auquel je dédie un article dans ce même blog ! Francis Blanche, lui, en 1938-1940, rédigeait intentionnellement des annonces bizarres, comme "médium cherche courroie de transmission de pensée", alors que dans La Réalité dépasse la fiction, eh bien, justement, c'est le réel qui dépasse en trombe l'automobile de la fiction dans une ligne droite... Des gens ont payé pour publier leur annonce, et cela a donné des choses étranges comme:

 

"Je possède trente millions. Que me proposez-vous ?"

 

"A vendre cultivateur 7 dents état neuf"

 

"Chambre à louer sur le derrière du boulanger qu'on peut couper en deux"

 

J'ai une affection particulière pour la demande de celui qui avoue d'emblée posséder trente millions. Anciens, certes, mais tout de même: il fallait oser...

Et tant d'autres. Les annonces en rapport avec le mariage et les rencontres confinent soit au sublime, soit au ridicule (il ne s'écoule que le temps d'un pas entre les deux, paraît-il) soit au cri (du coeur) plus ou moins désespéré, comme lorsque quelqu'un essaie, par voie d'annonce, de retrouver la personne qui portait un seau et "a fait un sourire" en sortant d'un magasin en ville ! Certes, cet appel en forme de S.O.S. (oh, on ne dit plus S.O.S: en téléphonie, mais je le maintiens dans le langage courant) a dû représenter une espèce de bouteille à la mer pour la personne qui l'a rédigé et apporté au journal en tremblant, mais il y a dans ce contenu - tenter de retrouver quelqu'un qui a souri en transportant un seau, repêcher via un média une rencontre de hasard banale a priori - une foi, un idéal juste phénoménaux. Quand des policiers recueillent des témoignages lors d'une enquête de proximité, ça n'est sûrement jamais aussi coloré: là, on ne cherche pas à identifier un suspect, mais à correspondre "en vue mariage". "Écrire au journal" parachève cette annonce extraordinaire dans le plein sens de l'adjectif. Écrire au journal, sinon où ? Au Palais de l'Élysée ? Au Kremlin ?

Quel était le texte, déjà ? "Dame blonde qui, en la deuxième quinzaine d'août, accompagnée d'un monsieur et d'une dame et qui a fait un très grand sourire à monsieur sortant d'une quincaillerie avec un seau sur le dos, est priée de se faire connaître à celui-ci pour affaires personnelles ou en vue mariage. Le monsieur en question a logé 2 ans à l'hôtel à Cernay. Il est très travailleur. Écrire au journal" (17 août 1954)

Sinon, quelle perte immense ! Bien plus grave que celle d'un chat, cette disparition du minet étant annoncée, elle, assortie d'une hypothèse quant à l'itinéraire de fuite de la bête:

 

"PERDU... chat... peut-être parti autorail Reims... août"

 

Dans ce cas, un contrôleur SNCF a pu verbaliser un chat monté sans billet. On tient peut-être une piste. Des traces de pattounes sur les sièges... Sauf s'il s'agissait d'un chat de Boulgakov, muni d'un peu d'argent dans sa patte, mais il y a un monde de différence entre Le Maître et Marguerite et la vie quotidienne près de Reims dans les années cinquante. Vive le chat d'août, le chat aoûtien chahuteur parti visiter Reims - à moins qu'il n'ait bu du champagne en douce: auquel cas, quel chat-pitre à la démarche chat-loupée on aurait dans le département 51 !

L'histoire ne dit pas si le chat a été retrouvé. Tant de gens publient une annonce pour déclarer à la ronde qu'ils ont perdu leur chat, mais peu en republient une pour faire savoir qu'ils l'ont retrouvé ! Ainsi va la vie. Les chats perdus émeuvent davantage que les minous que l'on retrouve... Si personne n'a cru entrevoir de gros minet, l'actualité du cinéma n'a pas pu esquiver Titi: "Au programme, Mon Titi, une extraordinaire traversée du Pacifique en radeau". Le nom Kon-Tiki, exotique, a eu du mal à passer.

Aucun secteur n'est épargné: sport, politique, faits divers, fêtes locales dont celle-ci: C'est la foire des veaux et des porcs, venez nombreux. Cochon qui s'en dédit. On apprend ailleurs que la presse soviétique est la comique, au lieu, selon toute vraisemblance, de "laconique", parce qu'en 1953-1954, je ne prétends pas connaître la presse d'URSS d'alors, mais je ne crois pas que la Pravda versait aisément dans la gaudriole ni n'incitait les prolétaires de tous pays à se gondoler de rire à l'usine. Quand on voit Malenkov en photo, il n'a pas l'air d'un rigolo. Ce sera un tantinet différent avec Nikita Serguéïévitch Khrouchtchev, lui qui a eu l'air d'un clown chauve en tapant de sa chaussure à l'ONU. Que voulait-il dire au juste ? On l'a oublié.

Je passe rapidement sur des "accidents mortels, sans victimes heureusement", sur des automobiles grièvement blessées et sur la froide et implacable consigne "Lorsque les cadavres sont carbonisés, le rôle des sauveteurs est terminé": les champions de l'humour noir involontaire sévissent de temps à autre. En voilà des gens "qui ne naviguent entre les mots qu'à la gaffe", comme le décrit si joliment l'ouvrage. Alors tant pis si "après l'autopsie du corps de... on reste un peu sur sa faim" ! Les cannibales changeront de charcuterie, du coup. Ils perfectionneront leur français: "Vous ne ferez plus de fautes d'ORTOGRAPHE en suivant nos cours par correspondance", clamait une annonce vraiment hors normes. Même si c'est moins grave que "6 morts... le magique bilan de la tempête sur les Alpes" (p.193). Le public est prévenu: "Prière de ne plus adresser aucune lettre à la confidence Pour certains la vie est belle, son auteur étant décédé". Oups, nous arrivons trop tard. Mille excuses, brigadier. Il faut de tout pour édifier un monde. Y compris des transformations réduites au minimum: "L'Industrie de la Transformation des Fruits doit tendre à les transformer le moins possible", titrait le Méridional du 4 février 1954. Du "vert" avant l'heure ? Le Vert n'est pas forcément dans le fruit, pourtant. Les sauveteurs étant exemptés d'assistance aux carbonisés, l'autopsie d'un autre corps, intact celui-là, ayant été impuissante à rassasier les carabins, la magie des victimes de la tempête finit tôt ou tard par s'estomper. Et les illusions par s'effilocher: "La femme coupée en morceaux menait une vie double", apprenait-on le 29 mai 1954. Consternation générale. D'autant que "le mystère de la femme coupée en morceaux reste entier", ce qui n'arrange pas les enquêteurs mais donne du grain à moudre aux chroniqueurs locaux de la presse provinciale qui ont besoin que leur canard vende du fait divers pour s'en sortir financièrement.

Inutile de fuir. L'Amérique n'échappe pas aux coquilles: "San Salvador, ville sans visage, a constamment le sourire aux lèvres". Lewis Carroll l'avait compris, lui. Le chat du Cheshire a beau s'être éclipsé, son sourire traîne encore sur l'arbre. Peut-être le chat du Cheshire provenait-il de la République d'El Salvador, si c'est bien de cette ville qu'il s'agit et non de Salvador de Bahía au Brésil.  Oh Alice, si tu savais...

En 1957, dans son sketch "Le sâr Rabindranath Duval", Francis Blanche demandait à Pierre Dac: "Qu'est-ce que vous entendez par là ?" - "Par là, j'entends pas grand-chose", répondait Pierre Dac. C'était au moins euphémique, au rebours d'Ouest-France qui un jour annonça "La révision des beaux postérieurs au 1er janvier 1949" dans son numéro en date du 27 juillet 1950. Avec effet rétroactif ? Avec des arriérés à payer ?

A cette haute époque, des histoires d'OVNIS circulent déjà - elles apparaissent après 1945, peut-être à cause soit d'expérimentations militaires d'aéronefs ronds, y compris dans le Reich finissant, soit en tant que symptômes d'une certaine angoisse née d'Hiroshima et de la Guerre de Corée. Je ne prévois pas ici de retracer le pourquoi de l'irruption dans le public de récits d'OVNIS (objets volants non identifiés) mais enfin, les OVNIS débarquent quand la foi recule, en gros. Moins on va à l'église, plus on voit de Martiens. On apprend donc que des riverains "encore muets d'épouvante" ont raconté avoir assisté à l'atterrissage d'un mystérieux engin dans la plaine du Forez ! Pauvres Ligériens ! Devoir raconter à la presse avoir vu un OVNI tout en demeurant muet d'épouvante, l'exercice peut comporter des difficultés et se révéler frustrant si on ne maîtrise pas la langue des signes... Heureusement, les Martiens n'ont, eux, posé aucune question en leur mystérieux jargon extra-terrestre (Roger Leloup n'a pas publié de grammaire du vinéen, d'ailleurs). Ailleurs dans l'ouvrage, des témoins ont aperçu un Martien "et son engin en forme de toupie". Oh, shocking, n'est-il pas ? 

J'adore une pub pour un livre dédié aux exploits de Don Juan: il est mentionné, après "Don Juan", entre parenthèses, "épuisé". C'est vrai que le job de Don Giovanni doit être exténuant.

Restent les arts de la scène pour se consoler de ne pas être le Don Giovanni perfetto à chaque coup:

 

"Louis XIV sera Sacha Guitry" dans le prochain film... Une occasion à ne pas laisser filer. Ce n'est pas tous les jours que le Roi-Soleil tourne et joue le rôle de Sacha Guitry ! Quant à la marquise de Montespan, elle était incarnée à l'écran par Claudette Colbert.

Et je suis heureux de ne pas avoir commis la bourde éléphantesque, l'erreur de typo qu'il ne fallait pas faire dans un journal à propos d'une pièce de théâtre. Au lieu d'annoncer en page locale les "trois derniers jours" d'une pièce, le canard, desservi par les typographes qui n'ont rien vu et ont laissé passer cette coquille titanesque, on a imprimé par erreur (enfin, j'espère que c'était par erreur.... faut-il y voir malice ?) "trois derniers fours" ! Authentique ! Qui irait inventer ça après tout ? Ils ont dû aimer, les acteurs du spectacle: que le canard du coin(coin) annonce leurs prochains "fours", ça a dû leur rester en travers du trou du souffleur. A ma connaissance, c'est la pire coquille de l'histoire de la presse locale francophone (sauf si je trouve plus catastrophique un jour). Plus récemment, je me souviens des usagés de la poste, par exemple. Le chroniqueur théâtral du canard en question, après l'épouvantable coquille des "fours", a dû avoir du mal à retourner au spectacle pendant quelque temps...

L'actualité inspire également: voici venir un film sur "les dessous brûlants de la guerre froide". Et Les Amours finissent à l'aube ("en cas de beau temps", précise le journal).

Dans un registre différent, La Môme du malheur promet "une cascade de rires" ! Le malheur des uns déclenche l'hilarité des autres, dirait-on... en tout cas au cinoche. A voir absolument, à l'instar d'un film sur Les Dangers de l'amour qui, "malgré l'audace du sujet, doit être vu par tous": interdit aux moins de 16 ans, précise le journal. Ce qui compromet l'objectif initial de montrer le film à tout le monde, du même coup. Certains films se retrouvèrent à l'Index, d'ailleurs, en cette décennie ou "bébé" prend un deuxième sens, autre que celui d'enfant très jeune, quand on l'écrit en majuscules, B.B. Et Dieu créa la femme...

Sur les planches, une comédienne, à en croire la rubrique culture, devait jouer le rôle de Célimène dans Le Cid. Une mise en scène à ne pas rater ! Célimène, qui l'eût cru ?

 

Exutoire connu, le sport draine bien du monde. Au point qu'à l'occasion de la venue du champion cycliste Louison Bobet, l'évêque du diocèse a eu la bonté d'accorder une dispense spéciale en raison de cette visite de "star" qui avait lieu un vendredi. L'abstinence du vendredi était à l'époque de mise chaque vendredi, et pas uniquement pendan tle Carême (c'était une décennie avant le concile Vatican II).

"Apo Lazaridès nous étonnerait demain sur les pentes du col de la Faucille que nous ne serions pas étonnés", claironnait le chroniqueur sports du moment. Même si seuls les experts en mémoire du Tour connaissent encore Lazaridès, qu'importe, l'enthousiasme, les dieux du stade poussèrent le journaliste à estimer qu'il n'y aurait rien de surprenant à être surpris par les exploits cyclistes de ce héros du vélo. Ce genre de sport possédait encore une aura épique, bien avant que les épreuves comme le Tour de France se transforment en un sprint au finish entre le sport et l'anti-dopage. Comme le dira Coluche dans les années 1970-1980, "s'ils n'étaient pas dopés, on aurait l'air malin devant notre TV à attendre qu'ils battent des records".  Mais dans les années cinquante, c'est autre chose: je profite de mentionner Hugo Koblet et Ferdy Kübler, deux vainqueurs suisses du Tour de France.

En football, "le jeu de tête de Kocsis" aura marqué le onze Céleste de l'Uruguay. C'est l'époque de la Hongrie du foot, de Kocsis, Puskas, les deux Ferenc, etc. Le jeu de tête de Kocsis suit de peu la révision des beaux postérieurs, mais cela ne suffira pas à Berne en 1954: en finale de la Coupe du Monde, le miracle de Berne (Wunder von Bern) permet à l'Allemagne de l'Ouest, menée, de renverser la tendance et de battre la Hongrie 3 à 2. L'Allemagne obtient ainsi le titre mondial 1954 (en attendant 1974 et 1990). "Cinglé dans son blazer, le bouillant avant-centre... n'était pas à prendre avec des pincettes" après la défaite de son équipe face "aux techniciens magyars" lors d'une confrontation antérieure qui, elle, avait vu gagner les Pannoniens. Le ballon rond rend parfois fou. Il rappelle une tête, ça doit être pour cela: et puis, les ballons renvoyés de la tête abîment le cerveau des joueurs qui se prennent des chocs sérieux.

L'athlète Futterer, lui, "continue de se distinguer au Japon". Il a gagné le 10 mètres et 10 minutes 4 secondes. Voilà ce qui s'appelle se distinguer ! J'aurais fait mieux, sans entraîneur, que ce Futterer. Sauf, notable exception, s'il avait fallu courir dans la neige. Pire que courir sur du sable sec qui s'éboule...

La neige, en effet, complique la vie mais amuse les petits et les plus grands enfants. En somme, toute chose a son revers et tous les maux ne viennent pas pour nuire. "Une opération césarienne étant nécessaire, un chasse-neige a été envoyé pour ouvrir un passage", relate La Montagne. Eh non, les enfants ne naissent pas tous dans les choux ni dans les roses, mais également dans les congères (blizzard, vous avez dit blizzard ?). Enfant, j'ai vu avec l'école La Reine des Neiges moi aussi.

 

En fin de volume, les auteurs ont ajouté un compte rendu remontant à 1904 d'une chasse réussie au loup sur le territoire de la municipalité de Saint-Mesmin. Le rédacteur de ce procès-verbal, le maire, est parvenu à truffer l'ensemble de son texte d'effets comiques aussi énormes qu'involontaires ! Et cela, rien qu'en construisant ses phrases de façon bancale. Il a entre autres écrit qu'il a pris part à la battue, "assisté de son adjoint peut-être enragé", tout ça parce qu'il voulait expliquer que le loup était peut-être atteint de la rage... Mais il a glissé "peut-être enragé" au mauvais endroit dans sa proposition, donnant l'impression que l'adjoint en personne souffrait de la rage. Et tout le reste du PV penche dans le même sens, rempli de précisions et de subordonnées bizarrement placées qui sèment la confusion. A un moment, on lit que c'est le loup qui s'enfuit armé d'un fusil, et qu'il était question de se débarrasser de l'adjoint au maire en même temps que du prédateur. Uniquement à cause de ces maladresses de construction qui se succèdent sous la plume du magistrat. Prodigieux, un chef-d'oeuvre de drôlerie accidentelle !

Egalement en fin de livre, l'équipe rédactionnelle donne à lire un PV de douaniers, disons, de fonctionnaires de l'octroi urbain au Maroc du temps du protectorat français. Là également, le style du préposé au compte rendu vire au comique: l'homme explique de manière malhabile qu'il a vu passer des fraudeurs, de surcroît des braconniers qui emportaient avec eux un sanglier fraîchement tué (sans doute illégalement). Le douanier raconte ensuite qu'il a repéré quelque chose de louche, mais qu'il n'a pas pu stopper les fraudeurs. Il s'est donné du mal, pourtant: il est sorti du bureau en criant aux fugitifs de s'arrêter. En vain. "Et alors moi nous sommes restés tout seul en leur criant d'arrêter, qu'on leur ferait un procès-verbal, parce que (mes collègues) étaient déjà rentrés dans le bureau et n'avaient pas poursuivi la poursuite". Pas de chance ! Voilà ce qui se produit quand on ne poursuit pas une poursuite, les poursuivis prennent le large.

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4 novembre 2012 7 04 /11 /novembre /2012 17:56

Qui a osé, dans son édition du vendredi 25 août 1939, publier "Le coin de l'érudit" et l'intituler "L'étrange et incompréhensible célébrité de Lycophron" ? Lycophron naquit au 2e siècle avant J.-C. à Chalcis, en Eubée (Grèce). Et sa célébrité provient de l'obscurité de son style, assure le chroniqueur Pierre Dac.

Pierre Dac ? Le chansonnier, l'humoriste ? En effet, c'est bel et bien de lui que j'entends parler ici. Né André Isaac, l'homme qui a pris le nom de scène de Pierre Dac est l'auteur du texte sur Lycophron dans la rubrique "Le coin de l'érudit" en ce vendredi 25 août 1939, dans le journal satirique L'Os à Moelle, proclamé l'organe officiel des loufoques. Dégoiser sur Lycophron, un poète hellénistique auteur d'Alexandra, poème fort singulier d'après Pierre Dac, à la fin du mois d'août 1939, il fallait oser ! L'Os à Moelle, le canard satirique de la rue de Dunkerque - étrange ironie de l'histoire: la rue de Dunkerque... - a existé. C'est entre autres pour cela que j'aime L'Os à Moelle: alors que le pacte de non-agression entre le 3e Reich et l'Union Soviétique a été signé l'avant-veille (23 août 1939) et que sur la Pologne plane une menace de guerre de plus en plus précise, ce journal a le cran de déblatérer sur Lycophron ! A contre-pied jusqu'au bout. Le courage des "moelleux" pas moelleux de ton revêt un caractère édifiant, en cette époque où, sur le papier comme sur la Toile, l'économiste hétérodoxe Jacques Sapir prédit en Europe une crise politique majeure comparable à ce qui s'est passé pendant les années 1930, rien que ça ! Sapir voit même un risque de guerre civile en Grèce, la patrie de Lycophron, pardon du peu (la Grèce a déjà, d'ailleurs, connu la guerre civile, de 1944 à 1949). Et dans ces années dix du vingt-et-unième siècle, imagine-t-on créer une rubrique baptisée "Le coin de l'érudit" ? Absolument pas. "Le public ne suivrait pas, le public ne comprendrait pas"... répondrait-on dans un journal. Autant le faire, alors, sur un blog, le blog comme exutoire. Le coin de l'érudit ! Ils étaient des provocateurs de première, les loufoques de la rue de Dunkerque. Plaider pour le droit au rire en 1939, mettre en avant l'humour tandis que s'amoncelaient les nuages noirs, ils ont été de vrais frondeurs.

 

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Pour mémoire, L'Os à Moelle est paru pour la première fois le vendredi treize mai 1938, une date parfaite pour lancer un journal satirique (Vigousse, "le petit satirique romand", sort par ailleurs les vendredis). La rédaction de la rue de Dunkerque ne le connaît pas, cet écrivain, mais fin mai 1938, Ödön von Horváth (Jeunesse sans Dieu, Un enfant de notre temps) se réfugie à Paris, deux mois après l'annexion de l'Autriche par Hitler, et le 1er juin 1938, une tempête arrache un arbre, le fait tomber sur la tête de von Horváth qui est tué sur le coup devant le Théâtre Marigny. Quant au dernier numéro de cet hebdomadaire promu organe officiel de la SDL, une Société des Loufoques pourvue d'un sigle rappelant facilement la Société des Nations célèbre pour son impuissance (et déjà égratignée par Hergé dans Le Lotus bleu) il sortira le vendredi 7 juin 1940. Du moins le "der des der" du premier Os. Le vendredi suivant, le 14 juin 1940, la chanson ne sera plus tout à fait identique et tiendra davantage du Horst Wessel Lied que de Parlez-moi d'amour: les troupes du Troisième Reich ont fait ce jour-là leur entrée dans la capitale française. Paris outragé. Paris occupé. Paris où le rescapé de la rage, Joseph Meister, sauvé autrefois - chance du siècle - par Louis Pasteur, se donne la mort, par honte, par tristesse et par dépit, en ce même 14 juin de l'an quarante de ce sanglant vingtième siècle. Pour l'anecdote, le numéro du 7 juin 1940 paraîtra en l'absence de son rédacteur en chef André Isaac (Pierre Dac) parti se réfugier loin de la Ville Lumière: il figurait, dit-on, sur une liste noire (ou brune) nazie de personnalités hostiles à capturer en priorité. Il faut reconnaître (et se réjouir de ce fait) que Pierre Dac s'en est pris maintes fois au maître de Berlin, à l'organisateur de l'Anschluss, au conquérant de la ceinture bohémienne des Sudètes, à l'auteur d'un manifeste intitulé Mon combat (Mein Kampf, en allemand). D'où la fuite du citoyen Pierre Dac. Le dernier numéro de L'Os à Moelle confectionné avec son concours sortit donc non le 7 juin mais la semaine précédente, le 31 mai 1940. En ce dernier jour d'un mois de mai pas joli du tout ("C'est le mai, mois de mai, c'est le joli mois de mai", chantera la Pucelle de Jeanne au Bûcher d'Arthur Honegger - mais c'est la France qui ce 31 mai-là tient le rôle de Jeanne, celle qui sera faite prisonnière à Compiègne) voilà déjà près de trois semaines que les tankistes de Heinz Guderian ont percé à travers la forêt des Ardennes. Coup de griffe d'un Guderian qui, lors de l'autre guerre, la précédente (la "der des der", comme on disait) avait, cruelle facétie de l'histoire militaire du 20e siècle, servi dans l'armée impériale allemande... précisément dans le secteur stratégique des Ardennes, qu'il avait eu largement le temps de bien explorer, de bien (re)connaître. Dans cette débâcle prend fin l'aventure de L'Os à Moelle, ce canard ébouriffé qui avait tout de même survécu à la déclaration de guerre et à la mobilisation générale de septembre 1939. (A l'image, Danzig, autrefois, de nos jours Gdansk en Pologne, "Gdunsk" en parler régional slave kachoube)

 

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Pour tout ce qui est contre - contre tout ce qui est pour; telle aura été la devise de l'organe officiel des loufoques lancé par une escouade de facétieux: l'acteur Fernand Rauzena (Ferdinand Nazereau) Pierre Dac, un jeune rédacteur de "petites annonces" délirantes nommé Francis Blanche, les dessinateurs Moisan, Jean Effel... Je suis de ceux qui estiment qu'il vaut la peine de se souvenir de ces deux ans presque tous ronds de L'Os à Moelle. Parce qu'il y a de l'humour et du civisme, de la dérision et de la démocratie là-dedans. De la batoille (helvétisme signifiant bavardage) de la discussion en une France gouvernée par des décrets-lois et privée de véritables débats à l'Assemblée Nationale depuis l'éviction du Front Populaire, depuis qu'Edouard Daladier a mis en branle le pilotage de la patrie des Droits de l'Homme et du Citoyen à l'aide de ces décrets-lois. Les moelleux ne manquent pas une occasion d'ironiser sur les fameux décrets-lois, imaginant même un décret-loi sur les décrets-lois, ou encore assurant que parti en vacances à la mer, Edouard Daladier a confectionné sur la plage de petits décrets-lois en sable ! De surcroît, après l'invasion de la désormais feue Tchécoslovaquie par les nazis en mars 1939, Daladier dispose des pleins pouvoirs. La démocratie a donc pas mal rétréci au lavage: "faites noircir votre linge au lieu de le faire blanchir, il ne salira plus", recommandent les moelleux dans un pseudo-conseil à la ménagère alors que l'Europe brunit son linge politique à toute vitesse. Ainsi, au début de l'été 1940, quand le vieux maréchal Philippe Pétain interrompra la démocratie, celle-ci avait déjà subi pas mal de mutilations depuis 1938. Il n'y avait plus grand-chose à liquider de la Troisième République, dans les travées de Vichy, lors de la cession des pleins pouvoirs au natif de Cauchy-à-la-Tour.

De surcroît, j'en rajoute une couche, parce que nous ne sommes apparemment plus très éloignés des vicissitudes politiques caractéristiques des années trente (1930) et je ne crois pas que Sapir soit le seul à le déclarer en ce moment. Comparaison n'est pas prédiction, une hypothèse n'est pas un fait avéré, Cassandre était une prophétesse qu'on n'écoutait jamais, certes, mais enfin, je ne parviens pas à enfiler les sabots de Hollande (François), l'auteur de la formule "Le plus dur de la crise est derrière nous". "Monsieur a son avenir devant lui, mais il l'aura dans le dos chaque fois qu'il fera demi-tour", lancera un Pierre Dac d'après-guerre en 1957 dans son sketch du Sâr Rabindranath Duval. Que ce soit François Hollande ou un autre qui profère ces mots, peu importe. Je n'aurais pas cru un Sarkozy (Nicolas) annonçant la même chose non plus. Donc la couleur politique n'explique pas tout. "La Bourse de New York semble avoir atteint une sorte de haut plateau permanent", écrivait un journal d'outre-Atlantique début octobre 1929, juste avant le krach géant de Wall Street.

 

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"Public, ne te laisse pas tromper", avertissait la rédaction loufoque le vendredi 24 mai 1940. L'article portait sur le machiavélisme des parachutistes nazis, supposés duper les gens en portant autour du cou une pancarte précisant qu'ils n'étaient pas des parachutistes mais des bébés atteints de coqueluche prenant l'air. Et la rédaction d'inviter chacun à se méfier de tout bébé de plus d'1 m.60 ! Concession à l'actualité ? Sans doute aucun. Mais le vendredi 31 mai 1940, le journal indique la marche à suivre pour "débouteiller un bouchon" !

Je ne résiste pas à la tentation de citer le numéro du 7 juin 1940. Dans la rubrique fil rouge "Drol' de s'maine - Redis-le-moelleux", on annonce que l'Etna s'est brusquement réveillé. La rédaction d'ajouter qu'avec le bruit qu'il y a dans le monde, il ne faut pas s'étonner que ce tumulte ait réveillé le volcan sicilien. Et cette même rédaction - rien ne lui permet de prédire ce qui va se produire sous (très) peu - explique que dorénavant L'Os à Moelle sera rédigé en abrégé, en raison des restrictions de papier... Concrètement, le canard loufoque est obligé de paraître sur 2 pages au lieu de 4. Nul à la rue de Dunkerque (le 27 mai commence l'évacuation de troupes britanniques encerclées à Dunkerque !) ne s'imagine que le numéro du 7 juin 1940 sera le dernier. Car le pouvoir exerce la censure. Les nouvelles alarmantes ne sont pas diffusées auprès du public français ("ne te laisse pas tromper", certes, mais les ciseaux de Dame Anastasie, déesse de la censure, ont été bien aiguisés). On trouve encore des petites annonces loufoques en ce 7 juin 1940, dans le même ton que celles des éditions antérieures. En ce même 7 juin 1940, que joue-t-on donc à Paris, à la Comédie Française ? Une pièce d'Alfred de Musset, pardi ! intitulée On ne saurait penser à tout ! Et pendant ce temps, toute autorité étatique se délite au nord de la Loire, réfugiés belges, civils français filant droit devant eux ou éventuellement tournant en rond dans un rayon de quelques kilomètres sans s'en rendre compte, tous paniquent et fuient, c'est "L'Exode" à pied sec de la fin du "printemps tragique" de 1940.

Comme quoi un journal satirique peut générer des commentaires extrêmement sérieux: "Si je vous en parle c'est qu'il faut bien qu'on en cause" a écrit Pierre Dac. Une bonne raison, dès lors, d'en venir à la substantifique moelle de cet os en travers de la morosité ambiante (celle de 1938-1940 ? la nôtre ? qu'importe; les deux ! morosité, atonie, peur de l'étranger, crainte du chômage, personnel politique discrédité ou en voie de l'être, cela s'applique autant à 1938-1939 qu'à 2012 au fond) L'humour, donc.

Et d'humour, ce canard des vendredis, jour du poisson d'avril, inauguré un vendredi 13 mai 1938, ne manque certes point. Petit tour de drôlerie médullaire osseuse d'avant-et-de-pendant-guerre...

 

"J'étais chauve... et je le suis toujours grâce aux pastilles de menthe"

"On demande médecin grec pour soigner coryza." (10 février 1939)

 

Le numéro du 13 janvier 1939 donne des définitions de mots croisés, horizontalement, verticalement et... en biais. Avec une précision: la grille de ce mot croisé est en vente chez les bons quincaillers. Parmi les définitions: 5, horizontalement: "Phonétiquement: salsifis frit". Le 6, verticalement: "Thémistocle en avait". Le 7, en biais: "Passoire sans trous usitée en Synovie." et 8, en biais: "Oui, en dialecte pronominal". La présence du salsifis frit ne doit rien au hasard. Elle découle du constat suivant: les démocraties ont une politique du salsifis frit, les Etats totalitaires n'en ont pas. De quoi chanter l'hymne au salsifis frit, lequel clame "Honneur à qui/Même sale s'y fie/Frit". Salsifis frit et boeuf en daube constituent avec le veau vinaigrette des mets de choix de la panoplie médullaire osseuse de cette époque cataclysmique. "De la nuit jusqu'à l'aube/Chantons le boeuf en daube". Et la rédaction d'expliquer le rituel daubiste du nappage, observé lors d'un reportage chez les Adorateurs du Boeuf en Daube, une secte aussi gourmande qu'énigmatique, aussi bizarre que la confrérie des chasseurs de plat de côtes qui mènent au plat de côtes une guerre sans merci et... en mangent ! Car "tant plus qu'on en mangera, tant moins qu'il en restera", assurent les plat-de-côtophobes avec une implacable logique. Quoique... La tambouille mutera quelque peu après l'entrée en guerre, au gré des restrictions alimentaires croissantes (la possession d'un chien ne donne pas droit à un supplément de ration de sucre, prévient le canard début 1940). Cela posé, il fallait l'oser, inventer des définitions de mots croisés en biais. J'aurais bien voulu voir à quoi aurait ressemblé une grille cruciverbiste pareille !

Ailleurs, L'Os se plaint qu'il y ait des routes qui ne mènent nulle part. Et se demande pourquoi les pouvoirs publics n'agissent pas afin de consoler les sites désolés qui existent encore dans le pays.

A moins que le lecteur ne préfère le plan d'envahissement du Reich par les couloirs du métro (15 septembre 1939). J'ai pour ma part une certaine affection pour ce commentaire au sujet des Prix Nobel: on apprend dans le numéro du 24 novembre 1939 que deux Allemands ont reçu le Prix Nobel de Chimie (ça sonne assez glauque quand on y songe, je trouve, même si Fritz Haber n'est pas le lauréat 1939 du Nobel de Chimie) L'Os affirme ignorer encore si le Nobel de la Paix sera décerné à Adolf Hitler ou à Staline ! En fait, en cette année 1939, le Nobel de la Paix ne sera pas attribué, mais ça, ce n'est pas un gag. Quant au Nobel de littérature, qui s'accorde au thème dominant de ce blog, il a été décerné, hommage à la Finlande en guerre contre l'Armée rouge de Josef Vissarionovitch Staline ("guerre d'hiver") au romancier finlandais à peu près inconnu en Francophonie Frans Eemil Sillänpää (oui, il y a trois a-avec-un-tréma, ça fait la boréale beauté scripturale de la langue finnoise, d'ailleurs, quand "bonjour" se dit hyvää päivää, par exemple) Sillänpää a écrit entre autres Sainte misère. Locution d'écrivain un peu à côté de ses pompes ? En politique, dans l'Eurozone, ne dit-on pas, à défaut de "sainte misère" (pas encore entendu sainte misère au micro, mais patience... un politicien y arrivera un jour) austérité, fonds de rédemption ? Sacré pétrin !

 

Le 29 décembre 1939 (la Finlande se bat contre l'URSS) Pierre Dac raconte, émouvant, qu'il a passé Noël tout seul dans le petit bureau de la rue de Dunkerque (Dunkerque, à ce moment, n'a pas la résonance historique qu'il a pour nous aujourd'hui, je le rappelle) qui sert de salle de rédaction. Dans une mise en scène à la Dinner for One, Pierre Dac a posé des verres sur la table: chaque verre a alors permis à Dac d'évoquer le souvenir de chacun de ses camarades absents: Claude Dhérelle lieutenant de forteresse, Roger Salardenne dans l'aviation, Albin Jamin en pionnier, Pierre Devaux, Moisan, Jean Effel qualifié de "poète casqué". Dac explique qu'il n'a choqué personne mais choqué seulement les verres "à la victoire (!) et à la paix", des verres vides de champagne mais remplis d'espoir. Dac conclut en écrivant qu'il a passé tout seul dans ce petit bureau - merci, Pierre Dac, je ne me plaindrai plus de manquer de place désormais - le plus beau Noël de sa vie. Chapeau (Cronstadt) Pierre Dac !

 

Dans le numéro du 20 janvier 1939, l'éditorial de "une" signé Furax, enfin, Pierre Dac plutôt (Furax viendra après la Seconde Guerre Mondiale, n'anticipons pas, comme disent les feuilletonnistes de l'âge d'or de la presse écrite) et intitulé "Présages, signes et impondérables", André Isaac écrit: "En 1939, il se passera des choses." Par exemple: "Nos voisins d'outre-Rhin (qu'ils disent) viennent de déclarer la guerre (en attendant mieux) au lambeth walk et au swing." Le lambeth walk était une danse populaire à la mode en 1938-1939, une toquade née d'un film désormais oublié, Me and My Girl (sic) La mode avait envahi tout l'Occident. Même le roi George VI et la reine avaient esquissé des pas de lambeth walk à Buckingham pour les besoins des actualités cinématographiques ! A l'entrée des salles de danse, on a eu affiché des diagrammes pour que les gens comprennent comment danser le lambeth walk. L'Os se rit de cette coqueluche. Lambeth Walk désigne une rue londonienne. Je ne crois pas que l'on danse énormément le lambeth walk ces jours-ci, mais on ne doit jamais dire jamais plus en ce qui concerne la mode. Un petit coup de marketing et ça peut renaître. C'est comme les collectionneurs de sulfures: on croit qu'il n'y en a plus, que les sulfures laissent de glace, mais enfin, Colette collectionnait les sulfures, eh bien, on va en réentendre parler bientôt, de ces objets de collection (Colette n'étant pas objet mais sujet). Bientôt ou dans des années. Les nazis déclarent la guerre au lambeth walk... en attendant mieux ! annonce le journal.

"L'humour est la politesse du désespoir", murmure une maxime connue du public. Comme cela peut se vérifier dans le numéro où Mussolini et Hitler en arrivent à l'apéritif: "Un Memel-cassis", demande Hitler - "Une Albanie-citron", ajoute Mussolini (en avril 1939, l'invasion de l'Albanie par l'Italie a eu lieu presque en même temps que l'annexion du Territoire de Memel par le Reich, peu après l'entrée des nazis à Prague survenue elle en mars 1939). La rédaction médullaire se demande alors ce qui va se passer après l'apéritif, quand AH et BM consulteront la carte... "La carte de l'Europe, bien entendu !" commente le journal satirique. Lequel s'interroge: va-t-on alors "servir" ces deux dictateurs ? Memel est un port sur la Mer Baltique, de nos jours Klaipéda, en Lithuanie. Pour la petite histoire, ailleurs dans cet article, j'ai mentionné Hergé et son attaque contre l'inefficience de la Société des Nations dans la bande dessinée Le Lotus Bleu; j'ajoute maintenant ceci: dans l'album (paru d'abord en feuilleton en 1938-1939) Le Sceptre d'Ottokar, situé en Europe balkanique ("Syldavie, État de la péninsule des Balkans") Hergé s'est inspiré, sur le plan vestimentaire, du roi d'Albanie Zog Ier pour représenter le roi syldave Ottokar en grand uniforme !

 

Si Dac, Rauzena et ses comparses en humour frondeur ne se gênent pas pour égratigner Benito Hitler et Adolf Mussolini (si, si, le canard les "renomme" ainsi au moins une fois, j'ai vérifié !), je pose la question: le chat persan a-t-il peur du vilain petit canard ? Nima Youchidj le poète iranien (environ 1897-1959) aimait les éléphants (moi aussi, mais ce n'est pas un critère décisif en géopolitique) mais "Chah Majesté" a piqué la mouche début 1939, vexé par des articles parus dans "la presse satirique française"... Or, comme il n'y avait pas mille et un canards satiriques publiés en 1939 dans la patrie de "Saadi" (Carnot) et de l'auteur des Lettres persanes, Reza Chah ci-devant Khan avait sans nul doute L'Os à Moelle à l'esprit quand il a gelé brièvement les liens diplomatiques avec Paris.

Peu après ce rugissement du lion dans les feux du soleil levant (le graphisme différait de celui du lion MGM) les relations diplomatiques ont repris leurs cours antérieur à cette mini-brouille franco-iranienne. La réconciliation survient lors de l'événement people de l'année, les noces de la carpe et du lapin, ou plus précisément du prince héritier - qui défraiera plus tard la chronique, mais n'anticipons pas, comme disent les feuilletonnistes - né en 1919 et de la fort jeune également princesse Fawzieh la propre soeur du poussah du Nil le roi Farouk d'Egypte. "Qu'est-ce que nous lui avons fait ?" ont dû se demander les moelleux. Même si la donne stratégique moyen-orientale n'a pas été spécialement ébranlée par L'Os à Moelle (euphémisme droit devant) j'aime l'idée que ce petit journal lilliputien de la rue de Dunkerque ait réussi à exercer un tel impact sur des relations inter-étatiques ! Beau coup, les moelleux ! Agacer un roi de fer qui fourrait les autres en taule (quand il était magnanime, sinon, exécution), ce n'était pas rien, avec les moyens qui étaient les vôtres... Pour en revenir à "Saadi" de Chiraz, son nom se retrouve dans l'un des prénoms de l'éphémère président français Sadi Carnot. Dans sa lignée, on admirait le poète persan Saadi de Chiraz (13e siècle). D'où ce prénom étonnant.

 

 

Quelques événements du temps de L'Os à Moelle de 1938-1940:

Mars 1938: annexion de l'Autriche par les nazis (Anschluss, "raccordement") fuite de Sigmund Freud (81 ans; il mourra fin septembre en exil à Londres) et de l'écrivain antinazi Ödön von Horváth (qui mourra assommé par un arbre lors d'une tempête le 1er juin 1938 à Paris).

Automne 1938: menace de guerre, crise des Sudètes et accords de Munich.

9 novembre 1938: pogroms dans tout le Reich, Reichskristallnacht dite en français "Nuit de cristal".

Mi-mars 1939: invasion et démembrement de la Tchécoslovaquie par les nazis.

Avril 1939: invasion et annexion de l'Albanie par l'Italie; le Reich s'empare du Territoire de Memel dans la Baltique aux confins de l'exclave de Prusse-Orientale.

1er avril 1939: violent discours d'Hitler contre le Royaume-Uni.

23 août 1939: signature du pacte de non-agression entre le Reich et l'Union Soviétique.

1er septembre 1939: plan Weiss, Fall Weiss, invasion de la Pologne par Hitler.

2-3 septembre 1939: déclarations de guerre, début de la Seconde Guerre Mondiale.

17 septembre 1939: entrée de l'Armée Rouge soviétique en Pologne ("quatrième partage de la Pologne").

Fin septembre 1939: Varsovie capitule; derniers combats des Polonais sur l'isthme de Hel (Poméranie).

Fin de l'année 1939: "guerre d'hiver" soviéto-finlandaise.

Avril 1940: invasion par le Reich du Danemark et de la Norvège.

Mai 1940: attaque nazie contre la Belgique et contre la France ("coup de faucille") notamment par la faille défensive de la forêt des Ardennes. Fin de la "drôle de guerre" en France ("drôle de guerre", selon une expression de l'écrivain et ancien combattant de 1914-1918 Roland Dorgelès, auteur notamment des Croix de Bois; Roland Dorgelès vécut de 1886 à 1973)

28 mai 1940: capitulation belge; à la suite de cette reddition, le roi Léopold II est radié, en France, de l'ordre de la Légion d'Honneur.

31 mai 1940: dernier numéro de L'Os à Moelle avec la participation de Pierre Dac.

Mai-juin 1940: "Exode de 40" en France, des millions de civils sur les routes.

7 juin 1940: dernier numéro de L'Os à Moelle tout court.

14 juin 1940: les troupes du Reich paradent dans Paris.

17 juin 1940: armistice franco-allemand.

18 juin 1940: proclamation de Charles de Gaulle ("appel du 18 juin") qui refuse l'armistice et appelle à poursuivre la lutte.

Début juillet 1940: le président de la République Française Albert Lebrun démissionne; le maréchal Philippe Pétain fonde l'État français.

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