Les Ziroboudons ? Trois magistrats qui gouvernent Hallucinaville. Les Rêverosiens ? Les habitants, hommes et femmes, du pays de Rêverose. Pazunbrin (forme contractée de l’expression française pas un brin) quant à lui est un épouvantail, quoique bien vivant et doué de la parole,
qualité rare chez un épouvantail classique. Majestor, lui, coiffé de sa couronne emblématique de roi des animaux, est bien entendu un lion. Parlant. Du moment que s’exprime un épouvantail,
pourquoi un lion n’en ferait-il pas autant ? Et enfin, le duo de choc, le merveilleux couple au cœur de ce petit monde féerique, bizarre, enchanté, aux maisons à l’architecture tarabiscotée, je
veux annoncer les époux (ils se sont mariés en cours de série) Olivier Rameau et Colombe Tiredaile. Ai-je oublié quelqu’un ? Oui, c’est
exact, je dois encore citer Maître Pertinent, notaire.
Ce qui plaît par-dessus tout aux trois Ziroboudons – bien qu’on puisse imaginer un nom commun, un ziroboudon, des ziroboudons – c’est de manger des gâteaux riches en sucre glace, en crème et en
fruits confits. J’ai envie de manger tous les gâteaux, faisait déjà chanter Maurice Ravel à l’enfant dans sa pièce musicale L’Enfant et les Sortilèges.
Je n’ai rien absorbé de bizarre. Ni jusquiame du jardin botanique de Limoges ni lysergique quelconque. Non, nous ne sommes pas en 1951 à Pont-Saint-Esprit ! Je ne parle que des bandes dessinées
de Dany et de feu Michel Greg, la série des aventures d’Olivier Rameau. Joli nom d’après le déluge.
Tout démarre lorsque Dany se demande où se perdent de vieux rails désaffectés, en Belgique, dans les Ardennes. Il dessine alors un petit train singulier qui roule sur des rails envahis par les
fleurs, les champignons, les folles herbes. Un notaire Pertinent jusqu’à son nom monte à bord avec son clerc, le jeune Olivier Rameau. Le train bringuebale jusqu’à une gare bien insolite. La voie
ferrée relie en effet notre monde réel à celui de Rêverose, pays sans maladies ni guerres, contrée de félicité et de bonne humeur, comme vont le découvrir ébahis les deux voyageurs. Deux, et un
petit peu plus, même. Dans le wagon où il a pris place aux côtés de son patron le notaire, Olivier Rameau voit monter une charmante jeune femme dont il tombe aussitôt amoureux. Il ne le sait pas
encore, mais c’est Colombe Tiredaile. Commence alors la Merveilleuse Odyssée d’Olivier Rameau, 1er album de la série entamée en
1968.
«Ziroboudons, des bonbons !»
Si toutes les manifs vers la place Neuve (Genève) ou de la République à la Nation (Paris) affichaient ce slogan, la politique prendrait une tournure somme toute bizarre.
«Hallucinaville restera joyeuse»
Autre pancarte, même désir de ne pas perdre l’esprit festif, carnavalesque de la part des Hallucinavilliens qui défilent pour protester contre les paralysies répétées de la vie urbaine, dans
La Trompette du Silence. En effet, cet album de la série oléoramifiée conte l’histoire d’une lointaine et mystérieuse trompette qui
émet de terribles ultrasons. On ne les entend pas, mais leurs vibrations paralysent les mouvements des animaux et des humains. N’importe qui, lion parlant, épouvantail loquace, homme, femme, ou
même la cloche parlante dotée d’un visage de cuivre, lorsqu’il est atteint par les ultrasons de la trompette, se retrouve gelé, stoppé en pleine action, figé à la façon d’un arrêt sur image
cinématographique. Tant pis si le sujet est assis sur une balançoire, celle-ci s’arrête en plein mouvement, défiant les lois de la physique. La scène se fige alors, au grand ébahissement des
personnages frappés de stupeur et de mutisme.
«Mais tu es fou, tu es en train de parler sérieusement !» s’écrient deux des ziroboudons lorsque le troisième de ces capitaines-régents vêtus à la mode du 18e siècle se met, en plein désarroi
entre deux attaques de la trompette, à tenir un discours sur la recherche de meneurs, l'instauration d’une commission, comme si on était sur la planète Terre, sur le plancher des vaches du monde
réel, appelé Absurdie chez les Rêverosiens. De leur point de vue, les absurdes, c’est nous.
La Trompette du Silence – Dany et Greg maniaient donc les paradoxes – démarre sur une paralysie colorée et psychédélique, presque, au bord d’un étang. Chaude couleurs, moments de
tendresse des amoureux qui nagent dans le lac, tout respire la sérénité et l’amour. Sauf que les ultrasons viennent casser cette quiétude. Excédés, autant qu’on peut l’être en Rêverose, les amis
habituels, Majestor le lion, sa chère amie la dompteuse caraïbe en uniforme à brandebourgs, la cloche, le notaire Pertinent, Olivier et Colombe, puis l’épouvantail Pazunbrin, le ramoneur
également, décident d’en finir, de mener une enquête jusqu’à cette fameuse trompette malfaisante. Il faut pour cela voyager jusqu’à la source du son dévastateur. Mais pour voyager, le groupe aura
besoin de l’aide précieuse du mage à la tunique étoilée et au chapeau pointu, le Grand Pas Sage, le sorcier Ebouriffon. Celui-ci, en son
château perché à l’architecture loufoque – en italien, on appelle castelli in aria les constructions utopiques – explique l’itinéraire à suivre. Il faudra avancer dans le sens des aiguilles d’un pin ordinaire, entre autres. Dans le château, le groupe est protégé des ultrasons par les fenêtres blindées à l’aide de
feuilles de cale-son. Texto. C’est avec une espèce de zeppelin romantique, l’ébouriffonophore, que les amis s’envolent vers les montagnes
étranges qui cachent la trompette maudite. Des oiseaux les transportent ensuite, quand le canyon trop étroit empêche l’ébouriffonophore d’avancer encore.
La trompette est une formation rocheuse évidée gardée par un concierge qui est en fait un bonhomme de neige rigolard. Une fois entrés, les amis découvrent que la montagne est percée de nombreux
trous, qu’elle abrite des grottes et des rivières souterraines et qu’un concert se prépare. Des rats d’un peu partout se rendent au concert en habit de gala. Et c’est également un rat qui va
jouer un solo de trompette… L’intervention brusque des Rêverosiens leur permet d’entrer en contact avec le rat et de lui faire part des effets pervers de son instrument de musique.
Dans La Caravelle de N’Importe Où, Hallucinaville risque soudain de manquer de graines magiques génératrices de joie de vivre. Aussi
faut-il aller sur une île dangereuse chercher les précieuses semences. Les amis rêverosiens partent en bateau à voiles – en caravelle – et au cours du périple, un gros pirate essaie de séduire
Colombe Tiredaile. Mais elle repousse ses avances.
Et dans Le Grand Voyage en Absurdie, nos amis du monde enchanté se rendent chez les Absurdes, chez nous, sur Terre, pour soustraire
un jeune homme, Aimé Detousse, parce qu’Hallucinaville l’a repéré comme étant une recrue idéale pour Rêverose. Aimé Detousse est en effet pacifiste. Mais voilà, il fait son service militaire et
prend part à des manœuvres. Cette BD caricature l’armée. On dirait un hommage à Boris Vian. Olivier Rameau parvient à prendre le contrôle d’un tank et à fuir vers le monde utopique avec le
citoyen Aimé Detousse. Il y a tellement de moments cocasses, nés de la confrontation entre les Rêverosiens et les Terriens, que cela vaut la
peine de lire ce récit dessiné et même de le relire.
La série Olivier Rameau, surtout dans La Trompette du Silence, diffuse une forme de fantasmagorie enchantée où l’architecture urbaine multiplie pignons, clochetons et décorations
loufoques, tandis que les cheminées des maisons laissent échapper des fleurs. Une tétine de biberon peut coiffer le toit d'un clocher, par exemple. De quoi se voir transporté dans un monde
apaisant, merveilleux.